Road Tripes, de Sébastien Gendron

Signé Bookfalo Kill

Vincent ne voit pas comment sa vie pourrait aller plus mal. Sa femme l’a quitté, il n’a plus de boulot, n’a réussi ni la carrière de pianiste dont il rêvait, ni celle de dentiste que son père lui réservait en héritage, et il subsiste grâce à un boulot de distributeur de prospectus dont l’inanité lui plombe encore un peu plus le moral. Franchement, comment cela pourrait-il être pire ?
Mais ça, c’était avant de rencontrer Carell, de foutre le feu à une forêt et de s’embarquer dans un périple insensé en voiture, 4000km de Bordeaux à Montélimar, avec l’espoir que quelque chose de bon sorte de tout ce bordel. Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance.

Gendron - Road TripesUn bon titre ne fait pas forcément un bon roman, mais au moins il annonce clairement la couleur. Road Tripes est un excellent titre : la route, le voyage, la référence cinématographique (car ce « road novel » a évidemment des airs de road movie à l’américaine), l’humour et la violence.
Après avoir parodié l’espionnage dans Taxi, Take Off & Landing et le nonsense britannique dans Quelque chose pour le week-end, Sébastien Gendron nous sert donc un Thelma et Louise dopé à la testostérone et à la bêtise crasse, qui s’appuie sur la mécanique bien huilée du duo antinomique. Au narrateur, Vincent, effacé, dépressif, lâche et poissard, s’oppose le phénoménal Carell, concentré de stupidité crasse, de bestialité primaire et de générosité candide. La recette est connue, elle a multiplié les succès – de Laurel et Hardy aux tandems de Francis Véber – et elle fonctionne encore ici.

Au fil des kilomètres et des pages qui défilent à toute vitesse, Gendron déroule les aventures de plus en plus délirantes de ses héros avec une efficacité cinématographique avérée. On croise un type dangereusement amoureux de sa voiture de collection, une secte dont le chef se nomme Personne, un gentil gendarme en mode Copains d’avant, et d’autres victimes plus ou moins innocentes de la cavale aberrante de Vincent et Carell. Entre deux vols de bagnole pas toujours inspirés, on y cause aussi beaucoup, notamment de musique, ce qui nous vaut un passage jubilatoire sur Johnny Hallyday.

Je dois pourtant avouer que Road Tripes ne restera pas mon préféré de Gendron. L’humour y est moins original, notamment dans des dialogues d’une vulgarité assumée mais trop lourdingue à mon goût – surtout quand l’on connaît la finesse dont l’auteur de Mort à Denise peut être capable.
Le roman s’avère donc inégal dans ce registre. Paradoxalement, et même si certains passages m’ont bien fait rire, j’en ai presque davantage apprécié la mélancolie, voire l’angoisse existentielle qui s’en échappe parfois ; surtout vers la fin, quand on découvre l’origine des tourments de Vincent, et quand Carell lui-même se débarrasse de ses oripeaux de brute épaisse. Sébastien Gendron amène alors une conclusion douce-amère, inattendue mais d’une belle justesse, qui dévoile une nuance intéressante de sa palette.

Si vous ne connaissez pas Gendron, Road Tripes peut constituer une bonne entrée en matière de son univers – dont vous vous régalerez ensuite à découvrir les pépites précédentes, publiées chez Baleine. Alors, foncez, prenez la route avec l’un des auteurs les plus dingues et les plus attachants du polar français : le voyage vaut le coup !

Road Tripes, de Sébastien Gendron
Éditions Albin Michel, 2013
ISBN 978-2-226-24825-1
285 p., 17€

Road Tripes reçoit un accueil enthousiaste, dans la presse comme chez les blogueurs. Voyez plutôt quelques exemples : Lily in the Vallée, Culture Box (France Télévisions), le Blog du polar de Velda, Black Novel, ou encore l’excellent Patrick Galmel de Pol’Art Noir.

Une Réponse

  1. alexmotamots

    J’avais noté ce titre, mais je retiens finalement son précédent.

    7 Mai 2013 à 17:06

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