L’Evasion, de Dominique Manotti
Signé Bookfalo Kill
Italie, 1987. Filippo Zuliani, prisonnier de droit commun sans envergure, est témoin de l’évasion de Carlo Fedeli, son compagnon de cellule et ancien des Brigades Rouges ; sans réfléchir, il lui emboîte le pas et prend le large de son côté. Quelques semaines plus tard, alors qu’il vient d’arriver à Bologne, il apprend la mort de son codétenu lors d’une tentative de holp-up à Milan. Affolé, isolé, Filippo s’enfuit à Paris chez Lisa, une réfugiée italienne et amie de Carlo, qui lui trouve un logement et un travail.
Pour tromper la solitude, et le chagrin d’avoir perdu un ami cher, pour séduire une femme également, Filippo se met à écrire. Mélangeant réalité et fiction, il raconte leur cavale, le braquage qui tourne mal, et ce qui s’ensuit. Rageur et sincère, son roman, L’Évasion, est publié en France et rencontre le succès. Coincé entre la justice de son pays, qui s’intéresse soudain à lui, et la rancoeur des réfugiés italiens en France, Filippo se retrouve alors au centre d’intérêts pas forcément en accord avec les siens…
L’Évasion, c’est d’abord bien sûr la fuite de prison, scène inaugurale du livre qui en conditionne le léger côté polar – léger, parce que Dominique Manotti tire clairement plus vers le roman noir, voire vers autre chose de plus inattendu (j’y reviens après), que vers le suspense et l’enquête policière.
Toujours soucieuse de taper là où ça fait mal, la romancière pose cette fois son roman dans le cadre de la lutte entre les Brigades Rouges et le gouvernement italien. Elle s’intéresse plus particulièrement aux exactions des services secrets italiens, prêts à manipuler les néofascistes et l’extrême-droite pour orchestrer des attentats qu’ils imputeront plus tard à leurs opposants pour ruiner leur crédibilité politique, dans un ballet mortel dont la démocratie ne sort jamais grandie.
Il est question aussi des réfugiés politiques italiens en France, accueillis avec bienveillance par Mitterrand et constitués en véritable communauté (nulle mention n’est faite de Cesare Battisti, mais on y pense forcément).
Pourtant, et si l’évasion du titre était tout autre ? Il apparaît très vite en effet que Manotti n’utilise le cadre historique que comme toile de fond. Le sujet du livre, la véritable Évasion, c’est celle que procurent l’exercice de l’imagination, la création, l’écriture. Les plus belles pages du roman sont là, lorsque l’auteur décrit la manière dont Filippo s’empare des mots pour donner un sens, d’abord à son histoire, ensuite à sa vie entière, en les nourrissant de rêve et de fiction ; puis dans la métamorphose qui est la sienne lorsqu’il rencontre le succès et s’immisce dans le petit monde des lettres parisiennes.
Il y a là quelque chose d’intimement juste, qui permet à Manotti de montrer quelque chose de nouveau, en s’attachant davantage à son personnage qu’à l’intrigue, en laissant même parfois celle-ci au second plan – sans la délaisser non plus – pour plonger dans la psyché du héros.
Sans perdre de sa conscience politique et de son engagement, Dominique Manotti s’autorise donc une Évasion d’autant plus bienvenue qu’elle est inattendue, une escapade noire sur le territoire de la littérature, « une histoire d’écriture et de mort » selon ses propres termes. Une réussite.
L’Évasion, de Dominique Manotti
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2013
ISBN 978-2-07-014058-9
211 p., 16,90€