Matrix, de Lauren Groff

Que disent les livres d’histoire sur Marie de France ? Qu’elle est la première femme de lettres à avoir écrit en français. Pourtant, sa vie reste un mystère. Matrix lève le voile sur ce destin hors du commun.
Expulsée de la cour par Aliénor d’Aquitaine, la « bâtarde au sang royal » est contrainte à l’exil dans une abbaye d’Angleterre. Loin de la détruire, cette mise à l’écart suscite chez elle une révélation : elle se vouera dès lors à la poursuite de ses idéaux, à sa passion du texte et des mots. Dans un monde abîmé par la violence, elle incarne la pureté, transcendant les obstacles grâce à la sororité.
Moderne, frondeuse et habitée par une grande puissance créative, Marie de France devient l’héroïne absolue, le symbole des luttes d’émancipation bien avant que le mot « féminisme » existe
.


Autant parler clairement, je me suis pas mal ennuyé à la lecture de ce roman. Je n’ai trouvé aucun élan, aucune sincérité dans cette littérature pourtant brillante, sur le plan technique au moins. Oui, c’est écrit, très écrit… mais bien écrit ? Si je ne vibre pas, j’ai tendance à répondre non, ou en tout cas à reconnaître que ce genre de littérature ne me correspond pas. C’est le cas avec Matrix.
Un point en particulier dans l’écriture m’a horripilé : Lauren Groff refuse les dialogues. Toute parole prononcée l’est dans un discours rapporté : « Marie dit que », « XXX répond que ». Je trouve ce choix terriblement appauvrissant, on a l’impression de lire un traitement de scénario pour le cinéma. Privés de voix, les personnages perdent un peu de leur âme. Or je suis particulièrement sensible à ce travail-là, qui est très difficile à réussir. Ici, rien, je n’ai pas « entendu » les personnages, ce qui a concouru à les garder à distance.

Du reste, j’ai trouvé le roman peuplé de caractères profondément antipathiques, mesquins, violents et agressifs, notamment parmi les nonnes qui hantent l’abbaye confiée à Marie de France. N’allez pas croire que j’idéalise les dames à cornette ou que je ne prends jamais aucun plaisir à croiser des personnages détestables dans mes lectures (au contraire encore ! Quoi de plus jouissif que d’aimer détester un personnage à la méchanceté flamboyante ?) ; mais ceux-ci, à l’image du reste du récit, m’ont paru froids, racornis, pétrifiés dans leur mépris des autres.
Cela dit, c’était sans doute l’objectif, et donc Lauren Groff a atteint son but, à savoir me révolter avec des personnages odieux faisant écho à la description pénible d’une époque, de lieux et de mentalités confits de barbarie. Mais cela ne m’a procuré aucun plaisir à la lecture, et c’est tout de même ce que je regrette le plus.

Par ailleurs, sur le fond – car il faut avant tout parler de cela -, Groff entreprend d’inventer une vie à la poétesse Marie de France, restée dans la postérité pour des textes vibrant d’amour courtois, parfois inspirés de la littérature arthurienne dont elle a réinterprétée autant la forme que le propos. De la biographie de Marie, on ne sait rien avec certitude, ce qui lui a valu une myriade d’identités possibles selon les rares indices disséminés dans ses textes et ceux qui, au fil des siècles, les interprétaient.
Lauren Groff choisit une piste : celle d’une demi-sœur d’Henri II Plantagenet, expulsée de la Cour par Aliénor d’Aquitaine pour devenir prieuré d’une abbaye lointaine et misérable qu’elle entreprend, à la force du poignet, de redresser puis de transformer en utopie mystico-chevaleresque. Tout au long du livre, Groff se concentre donc uniquement sur la vie de religieuse de Marie et sur son parcours de femme acharnée à briser tous les carcans, à commencer par les siens.

Ce portrait dégage une véritable puissance, mélange de fierté, d’indépendance et d’humilité qui dessine une figure féministe avant l’heure et force l’admiration. Voilà le beau point fort du livre.
Mais quid de l’œuvre littéraire de Marie de France ? Lauren Groff la laisse totalement de côté. Vous allez me trouver injustement tatillon, et vous aurez sans doute raison. Simplement, je m’attendais à quelque chose à ce sujet, cela m’a manqué, c’est sans doute de ma faute. Étant donné l’importance de Marie de France dans l’histoire littéraire, il paraît tout de même saugrenu de l’ignorer.

Bref, ce livre a du propos, ça aurait pu m’intéresser, mais les choix formels et narratifs de Lauren Groff m’ont laissé au bord de la route dès les premières pages sans jamais me raccrocher. Dommage.

Matrix, de Lauren Groff
(traduit de l’anglais (USA) par Carine Chichereau)
Éditions de l’Olivier, 2023
ISBN 9782823618334
304 p., 23,50€

Édition de poche parue en janvier 2024
ISBN 9782757899793
288 p., 8,50€

9 Réponses

  1. Je comprends tes arguments et pourtant j’ai adoré ce roman et cette découverte de l’autrice, le souffle de sa plume, sa fulgurance.

    22 Mai 2024 à 08:29

    • Oui, je me souviens de ta chronique, qui était tout à fait convaincante – dans le sens opposé du mien ;-)
      C’est un ressenti très personnel, d’ailleurs j’ai rarement autant employé la première personne du singulier dans un article que dans celui-ci, bien conscient que c’était qui n’avait pas marché, et que ce n’était pas le talent de l’autrice qui était en question, que ses choix et la manière dont je les percevais.
      Il me reste tout de même du livre le portrait sans concession d’une femme forte, d’une personnalité très impressionnante, campé avec conviction et modernité… Pas totalement un rejet non plus, donc !

      23 Mai 2024 à 21:08

      • C’est toujours intéressant d’échanger quand on a un ressenti très différent : tu mets le doigt sur des choses qui ne m’ont pas gênée, voire que je n’ai pas perçues. Merci pour ça ! Et contente que tu en retires quand même un peu de positif :)

        24 Mai 2024 à 08:29

  2. Pingback: Matrix, Lauren Groff – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  3. Lilou

    Merci pour ton analyse argumentée… Je vais passer mon chemin ! ;)

    22 Mai 2024 à 19:27

  4. Merci beaucoup :)

    24 Mai 2024 à 08:29

Laisser un commentaire