Trois jours et une vie, de Pierre Lemaitre

Signé Bookfalo Kill

Il y a Beauval, petite ville de province où tout le monde se connaît.
Il y a d’abord la mort d’un chien, abattu par son propriétaire.
Il y a ensuite la disparition d’un enfant de six ans.
Il y a enfin une tempête qui dévaste la ville et ses environs, en ces derniers jours de décembre 1999.
Puis il y a Antoine, douze ans, au cœur des événements. Trois jours qui vont changer sa vie à tout jamais.

Pas facile d’évoquer davantage le nouveau roman de Pierre Lemaitre sans tailler dans l’intrigue et affaiblir son intérêt. Autant vous prévenir, certains résumés ici ou là sur Internet ont tendance à déflorer le mystère ; si vous cherchez des avis sur Trois jours et une vie, promenez-vous donc avec prudence sur la Toile, sous peine de voir au moins un tournant de l’histoire perdre de son éclat. Ce serait dommage, il n’y en a pas tant dans ce livre.

Lemaitre - Trois jours et une vieJe ne peux en effet dissimuler ma relative déception à l’issue de cette lecture. A force, on devient exigeant avec les auteurs qui ont fait leur preuve. Pour Pierre Lemaitre, nous étions restés sur un prix Goncourt inattendu mais totalement mérité, venu couronner l’ambition et la puissance d’Au revoir là-haut, grand roman populaire au meilleur sens du terme. Ce couronnement suivait une œuvre remarquable d’intelligence et d’originalité en polar, où Lemaitre avait su, dès Travail soigné, son premier livre, s’inscrire dans le genre tout en se jouant de ses codes avec une audace jouissive.
Bref, Lemaitre, ce n’est pas n’importe qui. Et, quitte à paraître très sévère, il vaut beaucoup mieux à mon avis que cette histoire poussive, sorte de roman noir au parfum pesant de terroir mal digéré, guère plus intéressant qu’un scénario de téléfilm pour France 3.

Alors, oui, quand même, Trois jours et une vie aborde en profondeur le thème de la culpabilité (quitte à en abuser un peu, d’ailleurs), campe correctement le microcosme d’une petite ville provinciale où chacun se connaît parce que chacun s’espionne et dégoise sur les autres, sport local dont l’hypocrisie apparemment inoffensive éclate au grand jour lorsqu’un drame effroyable la met en pleine lumière. Lemaitre sait aussi se placer à hauteur d’enfant sans naïveté déplacée pour suivre pas à pas son héros tourmenté. Surtout, les meilleures pages du roman, au cœur du livre, mettent en scène le déchaînement de la tempête avec une énergie qui rappelle le prologue étourdissant d’Au revoir là-haut.

C’est déjà pas mal, n’est-ce pas ? Oui, mais c’est tout. A ces sujets, à ces atmosphères, à ces personnages déjà vus, Pierre Lemaitre n’ajoute rien, n’apporte rien de neuf. Trois jours et une vie manque à mon sens de personnalité, de prise de risque, ne porte pas l’empreinte de son auteur ; les dernières pages, censées retourner le lecteur in extremis, m’ont paru téléphonées, et de fait je n’ai pas été sensible à cette pseudo-révélation jaillie de nulle part, qui m’a fait me demander s’il ne manquait pas un chapitre ou deux pour conclure l’histoire. Quand je repense à certains rebondissements d’Alex, ou au twist de Travail soigné

Bref, Trois jours et une vie a tout du roman post-Goncourt, preuve que le maelström accompagnant la consécration littéraire a tendance à laisser les meilleurs auteurs exsangues. Pierre Lemaitre n’est pas le premier ; espérons juste qu’il saura s’en remettre et nous épater à nouveau dès son prochain livre. On y croit !

Trois jours et une vie, de Pierre Lemaitre
Éditions Albin Michel, 2016
ISBN 978-2-226-32573-0
279 p., 19,80€

14 Réponses

  1. Bon celui-là , il faut que je me dépêche de le lire ;-).

    21 mars 2016 à 11:38

  2. ah! je vais quand même l’essayer, j’ai tellemt aimé ses livres précédents, et ja’i aussi beaucoup apprécié ce qu’il a dit à LGL

    21 mars 2016 à 14:41

    • Curieux d’avoir ton opinion ! Il y a la place pour apprécier ce roman, je pense, j’ai sûrement trop attendu de Pierre Lemaitre pour son retour. C’est qu’il avait mis la barre très haut !!!

      23 mars 2016 à 08:53

  3. Oh, tu me douches, moi qui avais lu deux autres avis plus enthousiastes que le tien. Mais bon, chacun son p’tit n’avis, je me ferai le mien en le lisant et si je suis déçue, je me ferai les autres en intraveineuse, na !

    Par contre, là, je tique « la mort d’un chien, abattu par son propriétaire » NOOOOON ! J’aime pas quand on tue un chien, même dans un roman.

    21 mars 2016 à 21:56

    • Hé ben, j’arrête pas de te doucher en ce moment, c’est pas très gentil de ma part ! Je vais essayer de me rattraper prochainement avec des chroniques plus gentilles, promis ;-)
      J’espère que ce roman te plaira, en tout cas ! Il n’y a pas de raison, après tout.
      Par contre, pour le chien, désolé, je ne peux rien faire, c’est dans le livre, je n’ai rien inventé… Là, tu ne pourras en vouloir qu’à Môssieur Lemaitre et à sa cruauté littéraire :p

      23 mars 2016 à 08:55

      • Je vais tirer les oreilles à monsieur Lemaître et aussi à monsieur Norek, même si c’était avec un chat, lui.

        Bon, pas grave, les douches froides, ça réveille et comme tu dis, je pourrais adorer le roman, n’ayant pas encore lu les productions du monsieur (même si je les possède, c’est l’effet PAL).

        Ok, prochaine chronique, je veux un bain chaud qui sente bon les essences divines du putain de bon roman qui fait prendre son pied.

        Si tu n’en as pas sous la main, je ne t’en voudrais pas…

        23 mars 2016 à 16:30

      • Si tu n’as encore rien lu de Pierre Lemaitre, alors tu n’auras pas de comparaison en tête et ce pourrait être intéressant de savoir ce que tu en penses, en tant que lectrice « neutre ».
        Après, je ne peux que te conseiller de te plonger dans les autres bouquins du sieur, aussi bien son Goncourt que ses polars, qui sont impressionnants. Comme il me semble que ta PAL, vue d’ici, a un peu baissé… :p
        (Ah oui, Norek et le chat, c’était vraiment terrible !!! Heureusement que j’aime énormément les bouquins d’Olivier, parce que sinon, je serais allé lui balancer un micro-ondes en travers de la tête, non mais !!!)

        25 mars 2016 à 08:10

      • J’ai toujours envie de jouer au chat de Schrödinger avec monsieur Norek, juste pour voir sa tête… Je ne dois pas être la seule à avoir été traumatisée par un micro-onde au point de ne plus vouloir utiliser le mien ! :D

        Oui, je suis une lectrice neutre, du moins, avec Lemaitre ! Ce qui fait que je n’ai pas encore été « polluée » par ses autres supers écrits… en fait, je vais peut-être voir la montée en puissance des romans de l’homme.

        Non, tu as mal vu, ma PAL n’a pas diminuée, elle s’est écroulée… mais dedans il y avait TOUS les romans du sieur Lemaitre… Oui, je les avais tous et pas encore commencé, je sais, c’est grave, mais ça soigne pas…

        Tu avais raison, Ulysse, c’était important qu’il meurre…. Bhouhouhouhou

        25 mars 2016 à 16:45

  4. Merci pour cet avis éclairant, je ne le mettrai pas au sommet de ma pile celui la

    23 mars 2016 à 09:19

    • Ce n’est pas comme si tu n’avais rien d’autre à lire, j’imagine ;-)

      23 mars 2016 à 09:27

      • Exactement 😉

        23 mars 2016 à 09:46

  5. Bonsoir,
    Je tourne à l’instant la dernière page de ce livre et suis très très interrogative sur l’auteur. J’ai quasiment lu tous les polars, le premier « Travail Soigné » pour commencer. Après je n’ai plus pu me déconnecter de l’écriture hors norme de cet auteur et j’en ai écrit une chronique pour Collectif Polar qu’elle a en sa possession en prenant « Alex » comme sujet. Fallait bien choisir un titre.

    Je n’ai pas lu son Goncourt. J’étais impatiente à la sortie de celui-ci de m’y plonger.J’entends des bribes et des morceaux à la télé, et refuse d’écouter les suites pour ne pas me laisser influencer.

    Et là je suis encore dans la réserve. J’écrirais avec d’autres mots ce que je ressens et qui rejoint ce que tu as écrit. Toutefois ma réflexion sera différente. Je cogite déjà :) Je chronique très peu. Pas le temps.

    Dans un premier temps, je m’attendais à autre chose.
    L’écriture est tellement différente et je n’ai pas retrouvé le côté humour caustique de l’auteur que j’aime tant et terminer ses romans sur les chapeaux de route à du 300/heure pour m’avoir laissée toute essoufflée et heureuse en tournant la dernière page.

    A l’origine un garçon très seul.
    Ensuite l’assassinat d’un chien. A partir de là, j’ai beaucoup attendu, peut-être de trop. Alors je vais me laisser 24 heures pour m’imprégner de ce livre que j’ai lu en une seule journée.
    La question que je me pose est la suivante : – si j’ai lu ce livre d’une traite sans le lâcher, l’auteur n’a t-il pas réussi à me faire avance comme un gentil toutou en avançant l’os à ronger devant moi ? :lol: :lol:

    Et pourquoi écrire en même temps : « C’était tout de même lassant. Non ? » Soliloque avec moi-même ;-)
    Tu es la première où je viens lire la chronique et où j’écris quelque chose. :) Je ferai un copier-coller pour mon blog bien entendu :)

    Je vais partir sur la piste des mots de Monsieur Pierre Lemaître que je préfère de loin dans les livres polars ou thrillers que j’ai lus de lui ? Je suis fan inconditionnelle de cet auteur. J’attends donc avec impatience un autre livre si c’est de l’ordre du style d’une enquête de Mr. Verhoeven, ou de quelqu’un(e) qui lui ressemble. :)

    Voilà un avis totalement en primeur et à chaud…..
    Geneviève ou Gene.

    9 avril 2017 à 22:34

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