La Revalorisation des déchets, de Sébastien Gendron

Signé Bookfalo Kill

Certes, Dick Lapelouse n’est pas un garçon très recommandable puisqu’il est tueur à gages. Ce qui ne l’empêche pas d’être très recommandé, car dans son boulot, c’est un des meilleurs – et le moins cher, car c’est un tueur à gages low cost. Son credo : le tri sélectif des ordures ordinaires, celles qui pourrissent le quotidien des gens normaux, à qui il accorde ses compétences aussi larges que variées pour un tarif forfaitaire défiant toute concurrence (ça tombe bien, il n’en a pas).
Alors, oui, le garçon a tendance à assassiner quelques quidams, mais c’est souvent pour la bonne cause, ce qui lui permet de sauver les apparences, de se garantir une certaine morale et de développer une activité florissante, car ce ne sont pas les déchets humains qui manquent.
Entouré de sa secrétaire amoureuse transie de Claude François et de son voisin psychiatre cocaïnomane, Dick mène donc une existence relativement paisible (si l’on peut dire étant donné ses activités, mais passons.) Jusqu’au jour où se présente un client désireux d’éliminer son père, dont il dresse un portrait peu flatteur de pourriture historique. Hélas, les apparences sont parfois trompeuses…

Gendron - La Revalorisation des déchetsUn livre qui commence par une dissertation savante sur la différence entre les cons et les connards ne peut pas être entièrement mauvais. A vrai dire, il est même carrément excellent, mais ce n’est pas tellement une surprise dans la mesure où c’est Sébastien Gendron qui tient la plume. Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de cet auteur iconoclaste, totalement atypique, capable entre autres de passer James Bond à la moulinette (Taxi, Take Off & Landing) ou de pondre une hilarante comédie de nonsense gore plus anglaise qu’un film des Monty Python (Quelque chose pour le week-end).

Moins délirant, La Revalorisation des déchets n’en est pas moins très réjouissant. Gendron s’amuse à jouer avec la forme du texte et les polices du caractère, glissant ici des chapitres dialogués en forme de retranscription d’écoute ou de séance de psychanalyse, là un passage imprimé en lettres gothiques qui transpose en conte ancestral les malversations bien contemporaines d’un édile crapuleux – un chapitre hilarant et savoureux.
Puis il y a les personnages, dont la réussite est l’une des clefs du roman, à commencer par le héros-narrateur dont le ton faussement détaché est un régal permanent ; et aussi les autres, de l’ami psychanalyste à la vieille secrétaire obsessionnelle, du très attachant patron de restaurant barcelonais à cette drôle de nana blonde qui suit Dick partout, incarnation troublante de sa conscience.

Sébastien Gendron manie joyeusement différentes formes d’humour, du potache au plus subtil. Il est de ces écrivains précieux qui vous transforment souvent en zombie si vous lisez leur livre dans le métro parisien : yeux pétillants et sourire aux lèvres, votre bonne humeur littéraire a des airs de camouflet lancé à la grisaille et au mécontentement ordinaire des autres passagers (essayez, c’est jouissif !)
Cependant, dans la Revalorisation des déchets, le romancier n’est pas qu’amuseur, et c’est ce qui fait toute la différence. Le ton parfois se fait plus grave (en évitant d’être sentencieux), lorsque Gendron griffe la crise économique et ses conséquences sociales, ou lorsqu’il analyse les dilemmes moraux de son héros par rapport à sa profession. Sans entrer trop dans le détail, car ce serait révéler un élément clef de l’intrigue, le chapitre 29, intitulé « Guide pratique du carrossier mental », est une merveille de virtuosité dans lequel le héros-narrateur sonde son rapport à ses parents sous forme de mode d’emploi, entre drôlerie, gravité et émotion.

Bref, comme je ne vous dirai jamais assez qu’il est hautement recommandé de lire Sébastien Gendron, précipitez-vous sur cette Revalorisation des déchets, nouvelle preuve de la singularité totale de ce romancier qui ne fait rien comme tout le monde et qui le fait mieux que personne. Laissez-vous tenter par l’originalité !

La Revalorisation des déchets, de Sébastien Gendron
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31464-2
384 p., 19€

13 Réponses

  1. Mais je note…. :D Mon carnet, vite !!! :D

    25 février 2015 à 09:33

    • Tu m’en diras des nouvelles ;-)

      25 février 2015 à 09:42

      • Attention, lorsque j’achète un livre, je le lis souvent un an plus tard, sauf exception… Ma PAL est énoooorme !

        25 février 2015 à 10:02

      • C’est pas grave, du moment que tu le lis, c’est le plus important ;-)

        27 février 2015 à 23:59

      • Oui, mais lorsque je le lis, il ne sent plus la nouveauté (hormis quelques exceptions que je lis de suite). J’ai des nouveautés de juin 14 (2014, pas 1914) que je n’ai pas encore lu, pourtant, je veux les lire au plus vite… :(

        1 mars 2015 à 10:24

      • Je sais ce que c’est, hélas, j’ai le même problème… J’en ai peut-être même de 1914, d’ailleurs, maintenant que tu en parles :p
        On a beau être gros lecteur, on ne lit jamais assez par rapport à tout ce qu’on voudrait lire.
        C’est vraiment une frustration permanente, mais au moins, c’est bon signe, ça veut dire qu’on entretient notre curiosité !

        1 mars 2015 à 11:08

      • Et ça veut dire aussi que nous avons encore de belles années de lecture devant nous !! Imagine si nous n’avions plus rien de super à nous mettre sous la dent, que ferions-nous ??

        Dommage que nous ne puissions pas arrêter le temps lorsque nous lisons, on pourrait encore lire plus :P

        Je dois encore avoir quelques nouveautés des années 50-60 dans ma PAL… de 1914, je pense que non, mais on n’est jamais trop prudent ;)

        1 mars 2015 à 11:15

  2. hautement noté dans ma liste ;-). J’irai voir l’auteur à QDP

    25 février 2015 à 11:04

    • Tu peux, il vaut largement le déplacement ! Sympa et authentiquement frappadingue ;-)
      (J’y serai aussi, tiens, à QdP – mais en tant que libraire !)

      27 février 2015 à 23:58

      • Oh mais c’est super ça ! Je serai super content de te revoir :-)

        28 février 2015 à 06:17

      • Ah mais moi aussi ! :)

        1 mars 2015 à 11:05

  3. alexmotamots

    Une couverture de roman que j’avais déjà vu pour celui de Jacques Expert en grand format (le titre m’échappe).

    25 février 2015 à 15:23

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