Ce qu’il nous faut c’est un mort, d’Hervé Commère

Signé Bookfalo Kill

Le 14 juillet 1998, soir de victoire française en Coupe de Monde, des millions de Français basculent dans une longue nuit d’ivresse et de bonheur. Parmi eux, certains vont vivre pour d’autres raisons la nuit la plus interminable de leur existence, pour le meilleur et pour le pire.
C’est le cas de Vincent, Patrick et Maxime, partis pour faire la fête et revenus avec une dette – de celles qu’on ne rembourse jamais. De Marie, victime d’un violeur en série. De William, qui ne croyait pas au grand amour et le prend en plein coeur ce soir-là. De Mélie, qui naît sans savoir que, dix-huit ans plus tard, par son caractère bien trempé, son enthousiasme et sa fraîcheur, elle changera la vie de milliers d’autres gens.
Dix-huit ans plus tard ? Nous sommes à Vrainville, petite ville normande qu’un atelier familial de fabrication artisanale de sous-vêtements a rendu mondialement célèbre, et qui vit grâce à lui depuis des décennies. Mais l’âge d’or de l’usine est loin derrière. La concurrence internationale fait rage, les fonds d’investissement et les avocats cyniques s’en mêlent, et le destin de centaines de travailleurs honnêtes est menacé. Sauf que tout le monde s’en fout. Alors, pour changer le cours des choses, il n’y a plus qu’une solution.
Ce qu’il faudrait, c’est un mort.

Commère - Ce qu'il nous faut c'est un mortIl faut dire, redire et reredire la place éminemment singulière qu’occupe Hervé Commère dans le paysage littéraire français. Jouant avec nonchalance des codes du roman noir, il en brise les frontières pour tisser une œuvre qui n’appartient qu’à lui, puissamment originale et surtout, surtout, foncièrement humaine.
Ce mot : humanité – ce mot qui, chaque jour, depuis quelques mois, semble céder un peu plus vite sous les coups de boutoir aberrants des fanatiques aveugles et des politiques indécents, ce mot qui nous constitue mais que l’on ignore davantage à mesure que nous nous enfonçons dans une modernité sans âme ni repère ; ce mot : humanité, est le ciment des livres d’Hervé Commère. Et dans ce nouveau roman au titre paradoxalement provocateur, cette humanité est là, malmenée, niée, atteinte dans son intégrité, mais plus que jamais rayonnante, insistante, résistante. Inexpugnable.

Chaque grand romancier est porteur d’un mystère, celui qui fait la magie de son œuvre au point qu’on l’identifie au premier coup d’œil. Chez Hervé Commère, le mystère, c’est cette capacité intacte qu’il a de faire surgir la générosité, la tendresse, la bravoure, de combattre la noirceur par un optimisme réaliste mais forcené, qui ne renonce à aucune grandeur pour surmonter les bassesses.
Avec Ce qu’il nous faut c’est un mort, il pousse pour la première fois son travail vers le roman noir social, engagé (à sa façon), délaissant les chers vieux truands et bandits d’honneur qui hantaient ses livres précédents pour se confronter aux voyous contemporains : les patrons amoraux, les fonds d’investissement cupides, les hommes de l’ombre dont le portefeuille a définitivement remplacé le cœur dans la poitrine. Il aborde le sujet sans naïveté ni angélisme, mais avec l’envie toutefois de rendre le monde meilleur, au moins en littérature. Et on y croit, on a envie d’y croire, parce que le romancier prend le temps d’installer son décor – accordant par exemple une longue parenthèse à l’histoire des ateliers Cybelle de Vrainville, dans une échappée surprenante mais indispensable et très réjouissante -, et de camper ses personnages en profondeur, comme il sait si bien le faire.

Ce qu’il nous faut c’est un mort démontre à nouveau la maestria narrative d’Hervé Commère, faisant la part des choses entre le roman noir et un suspense plus polardesque qui apparaît tardivement, lorsque le temps des constats est dépassé et qu’il faut passer à l’action, tout en captant davantage un lecteur déjà acquis à la cause.
Certaines phrases cinglent par leur clairvoyance (« Je veux dire que les gens sont petits (…) On les prend tellement pour des cons qu’ils finissent par le devenir. Ils se font tout petits. On les rend petits. Ils se replient sur eux-mêmes, sur ce qu’ils connaissent. Ils redeviennent des animaux très vite »), d’autres imposent leur évidence faussement candide (« La vie, c’est devant. ») La fluidité du récit emporte tout, lecteur en premier, dans un monde familier qu’il est douloureux de quitter.

Ce qu’il nous faut c’est un mort est le cinquième roman d’Hervé Commère. Seulement, serait-on tenté de dire devant la maturité d’un écrivain qui a définitivement trouvé son ton et imposé son univers. On espère en tout cas qu’il continuera à nous enchanter et à nous émouvoir avec ses héros si vrais – et avec son humanité qu’il est si précieux de retrouver, livre après livre. Comme un baume qui apaise la brûlure du monde tel qu’il est.

Ce qu’il nous faut c’est un mort, d’Hervé Commère
Éditions Fleuve Noir, 2016
ISBN 978-2-265-11569-9
396 p., 19,90€

13 Réponses

  1. Ravie que tu fus autant emballé !

    23 mars 2016 à 13:08

    • J’ai eu la chance de repérer Hervé Commère dès son premier roman, alors complètement confidentiel, et je ne cesse de le dire depuis : ce garçon a un énorme talent. Le mieux, c’est qu’il a évolué depuis ses débuts, et qu’il reste capable de surprendre tout en restant fidèle à son style. C’est vraiment une joie de le retrouver à ce niveau !

      25 mars 2016 à 08:12

      • Je ne le connaissais pas et une belle découverte pour cette année 2016. Je vais le suivre de près.

        25 mars 2016 à 08:47

      • Bonne nouvelle alors ! De nouveaux supporters pour Hervé Commère, c’est super :)

        25 mars 2016 à 08:49

      • Yes !!!

        25 mars 2016 à 08:58

  2. Oh quelle magnifique chronique !
    Je suis totalement en accord avec chaque mot de ton ressenti, c’est dire !
    Ah que ça fait plaisir de lire ça ;-)

    23 mars 2016 à 14:12

  3. Hé ben voilà ! Au moins un livre qui ne me douche pas après en avoir entendu que du bien… :P Merci !

    23 mars 2016 à 19:12

    • Tu as vu ? Non mais des fois, je fais des efforts pour être gentil, hein. Et puis, à force de t’infliger douche sur douche, j’avais peur que tu finisses par attraper froid. Ca n’aime pas l’eau tant que ça, les belettes, si ? :D

      25 mars 2016 à 08:06

      • Non, les belettes, c’est comme les chats, ça n’aime pas l’eau ! Et puis aussi, j’allais être plus propre que propre avec toutes ces douches… mais bon, j’aime mieux l’eau chaude que la froide, surtout s’il ne fait pas 40° dehors.

        Bon, j’ai lu « trois jours et une vie » et j’ai bien aimé, ma critique sera plus positive que la tienne. À ta décharge et à la mienne, je n’ai pas lu les autres romans de monsieur Lemaitre, ce qui fait que je ne suis pas influencée par ses autre romans ! ;-))

        25 mars 2016 à 16:41

      • Meure ! Avec un « m »…

        25 mars 2016 à 16:45

  4. Dieu qu’il me fait envie en lisant ta chronique !!!
    Bientôt en lecture 😊

    25 mars 2016 à 09:20

  5. Bonjour à vous, j’ai pris mon abonnement ;) et apparemment tous mes potes sont déjà là….
    Il va falloir que je l’ajoute à ma PAL, avec un avis aussi enthousiaste, ça force l’envie de s’y plonger !;) Un titre de cet auteur m’attend déjà, mais celui ci, il me tarde de le découvrir! ;)

    3 Mai 2016 à 13:09

  6. Pingback: Regards croisés sur mon Top 30 des romans lus en 2016 – De la 5ème à la 2ème place – EmOtionS – Blog littéraire et musical

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