Vie de Gérard Fulmard

Jean ECHENOZ
Éditions de Minuit, 2020
ISBN 9782707345875
240 pages
18,50 €
Difficile de dire si Gérald Fulmard a connu des jours meilleurs. Pour l’heure, cet ancien steward est au chômage, et pas près de retrouver du travail dans sa branche, étant donné qu’il a été viré pour des faits plus que douteux. D’ailleurs, non content d’avoir perdu son emploi, le voilà obligé de pointer régulièrement chez un psy qui, de toute évidence, n’a strictement rien à faire de lui.
Bon.
Pour couronner le tout, voici qu’un satellite russe en fin de parcours s’écrase sur le centre commercial d’Auteuil, non loin de la rue Erlanger où vivote le dit Fulmard, dans l’appartement anciennement loué par sa mère. Mauvaise nouvelle : il n’a plus d’endroit pour faire les courses. Bonne nouvelle : parmi les victimes du drame se trouve son propriétaire, à qui il ne pouvait plus payer de loyer. Re-mauvaise nouvelle : le fils du propriétaire ne tarde pas à se manifester pour réclamer son dû.
Bon.
Et ensuite ? Hé bien, Gérard Fulmard va faire comme d’habitude : se laisser porter. Ce qui va le conduire, après quelques nouvelles expériences malheureuses, à travailler pour un parti politique en pleine crise. Pas sûr que suivre ce courant soit l’idée du siècle… En même temps, Gérard Fulmard n’est pas du genre à avoir des idées.

On va commencer en enfonçant une porte ouverte : Jean Echenoz est un des plus grands stylistes de la littérature française contemporaine. Un auteur précieux, qui manie comme personne l’art subtil de l’ironie. Chez lui, elle devient un nectar que chaque (bon) mot, chaque phrase délicieusement alambiquée, chaque trouvaille rendent jouissif à déguster. Voilà un écrivain, un vrai.
(Petite note amicale à l’attention de ceux qui proclament la littérature française pauvre et inintéressante : ce n’est pas faux (et malheureusement, c’est souvent celle-ci qui reçoit la gloire des médias et la tête de gondole des grandes surfaces à vendre des livres au kilo), mais il y a un paquet d’exceptions à cette règle. Echenoz en est une – parmi tant d’autres : voir la réponse passionnée et légitime de « je ne sais plus » en commentaire !)
Vie de Gérard Fulmard : c’est le titre. Arrêtons-nous dessus quelques instants, un titre n’est pas censé être anodin. Qu’annonce celui-ci ? Tout, sauf une biographie. Echenoz a pratiqué le roman biographique, nous offrant trois merveilles : Courir, Des éclairs et Ravel. Ici, rien à voir, déjà parce qu’il n’existe pas, Gérard Fulmard. Et ce roman qui porte son nom est loin de nous dévoiler son existence complète.
Alors ? Vie de Gérard Fulmard. Bizarre, c’est peut-être un effet secondaire de ma lointaine éducation catholique, mais quand j’entends ce titre, j’entends « vie de saint ». Vous savez, ces récits religieux édifiants qui relatent la destinée (souvent tragique) d’un saint en particulier. Souvent, on parle aussi de « passion » pour qualifier ces textes. Le terme « passion », du latin « patior, pati », qui signifie « souffrance », « supplice », « état de celui qui subit ».
Et s’il y a bien quelqu’un qui subit son destin, c’est Gérard Fulmard. Tiens, la boucle est bouclée, presque sans le faire exprès.
Rien de transcendant pour autant dans les aventures du gars Fulmard. Je dis transcendant, au sens religieux du terme, encore une fois. Parce que ce personnage improbable, sorte de Culbuto doté des capacités de raisonnement de Oui-Oui, a le chic pour se mettre dans le pétrin et enchaîner les péripéties – calamiteuses pour lui, drolatiques pour le lecteur.

Sauf que… Je dois avouer que je suis resté sur ma faim à l’issue de ma lecture. D’abord parce que Jean Echenoz a déjà joué ce genre de partition. Son précédent roman, Envoyée spéciale, résonnait du même genre de musique, mais en beaucoup plus fort, plus jubilatoire, plus audacieux. Au bout d’un moment, sa Vie de Gérard Fulmard se met à ronronner bien gentiment, comme un gros matou pelotonné au coin du feu.
C’est agréable à lire, on ne s’ennuie pas. On glane quelques exquises considérations sur des sujets très divers – spécialité d’Echenoz, capable de passer du coq à l’âne et de retomber sur le dos du coq sans en avoir l’air. On s’amuse du regard mordant de l’auteur sur le petit monde politique, ses compromissions, ses errances tristement humaines, son incapacité à s’élever au-dessus du discours, grâce à une galerie de personnages hilarants, étrangement familiers dans leur mesquinerie, leur égocentrisme et leur manque absolu de dignité.
Cependant, à l’image de la fin, abrupte, j’ai eu l’impression frustrante que le roman finissait par s’effondrer sur lui-même. En objet littéraire typiquement éditions de Minuit, Vie de Gérard Fulmard finit par se résumer à un exercice de style dont le sujet devient le style, noyant le propos dans l’explosion du verbe. Comme un aveu d’impuissance, stigmatisant chez le romancier une étonnante incapacité à dépasser la langue pour se concentrer sur une histoire, un récit, un propos.

Ce qui fait de ce livre une sorte de plaisir instantané, de gourmandise de table, dont la saveur ne dure que le temps de la dégustation. On n’en garde que le souvenir flatteur d’une suite de mets raffinés, disposés sur la table par un serveur guindé dont la politesse n’est que de façade. C’est un luxe appréciable que de pouvoir s’offrir ce genre de festin, on peut donc s’en contenter. Tout en reconnaissant qu’au bout du compte, ces restaurants haut de gamme sont un peu surfaits.
Content de te retrouver mais si c’est pour écrire des conneries pareilles » la littérature française pauvre et inintéressante : ce n’est pas faux, mais il y a de quelques exceptions à cette règle. Echenoz en est une.) », on va finir fâchés. Oui Echenoz est une exception, une formidale exception à cette effarante contre vérité, mais il sont légions, Jean-Philippe Toussaint, Chevillard ou Laurent Mauvignier pour rester sous la même jaquette, mais aussi, ailleurs, Marie Ndiaye et Marie Hélène Laffon, Sandrine Collette, Hannelore Cayre ou Pierre Lemaître dans un autre genre, Nathalie Quintane, Marie Divry, Nicolas Mathieu, Olivier Adam (en baisse de forme il est vrai), Frank Bouysse, Alice Zeniter, Jerome Ferrari, Eric Vuillard, Maylis de Kerangal (même si le dernier était bof bof), Frantz Bartelt….sans parler des jeunots dont les coups d’essais sont des coups de maître, Olivier Bourdeault, Sylvain Ouillon, Joseph Ponthus, et les vieux qui certes se négligent un peu ces derniers temps (Pennac, Modiano, Le Clezio) mais qui n’ont pas fait que du pipi de chat ! Je pourrais continuer la liste pendant des heures. Non, vraiment, oser écrire que la littérature française est pauvre et inintéressante, c’est soit être inculte (et je sais que ce n’est pas ton cas) soit vouloir être plus snob que les snob. Y a pas que Legardinier et Katherine Pancol merde !
19 janvier 2020 à 21:28
Houlàlàlàlà, on va se calmer tout de suite !!! ;-)
Je n’ai jamais dit que la littérature française était globalement nulle. Et je suis évidemment, furieusement, parfaitement d’accord avec la plupart des auteurs que tu mentionnes – et il y en a d’autres, plein plein d’autres. D’ailleurs, ils sont nombreux à avoir été défendus sur ce blog !
En revanche, je t’accorde que ma formulation était maladroite (la machine à chroniquer est rouillée, il faut un peu de temps pour la relancer). Je voulais ironiser sur ceux qui, par principe, ne lisent jamais de littérature française parce que « c’est de la merde ». J’ai eu tellement de clients en librairie qui prétendaient ça (j’imagine que toi aussi), en des termes plus choisis mais c’était l’idée… J’en ai parfois convaincu certains du contraire, à force d’acharnement. Pas tous – il y a des causes perdues, et c’est à ces gens-là que je pensais. Des gens arc-boutés sur leurs certitudes et qui ne font pas même l’effort d’aller chercher plus loin que le bout de leur snobisme. Des gens désespérants, mais contre lesquels j’ai appris qu’il était vain de vouloir lutter, à moins de se prendre pour le Christ rédempteur des libraires.
Je ne prétends pas être meilleur que les autres. Il y a des auteurs, des littératures qui me laissent hermétique ou avec lesquels je peine. Au moins, dans la plupart des cas, j’ai essayé. Et pour certains, je réessaierai peut-être un jour, parce qu’on change en tant que lecteur, on apprend un peu plus à chaque livre, à chaque découverte, à chaque pas de côté que l’on finit par oser.
Donc, disais-je, toutes mes excuses : je me suis mal exprimé. Et ai légèrement modifié le texte pour tenter de rester dans l’ironie tout en contredisant cette assertion contre laquelle je m’élève avec ardeur.
Cela donne : « (Petite note amicale à l’attention de ceux qui proclament la littérature française pauvre et inintéressante : ce n’est pas faux (et malheureusement, c’est souvent celle-ci qui reçoit la gloire des médias et la tête de gondoles des grandes surfaces à vendre des livres au kilo), mais il y a un paquet d’exceptions à cette règle. Echenoz en est une – parmi tant d’autres : voir la réponse passionnée et légitime de « je ne sais plus » en commentaire !) »
Merci, en tout cas, pour ton intervention. Une bon petit échange de ce genre, ça réveille et ça stimule !
20 janvier 2020 à 10:08
De lui, je possède « 14 » mais vu ma biblio, mes bilios pour être plus juste, je ne sais plus où je l’ai classé…
Un jour, je le retrouverai, je l’exhumerai et je le lirai ! ;)
20 janvier 2020 à 22:06