J’en ai causé sur les réseaux sociaux, mais pas ici, c’est quand même le comble : depuis quelques jours, ce blog a un petit frère ! Un nouvel espace entièrement réservé à la littérature enfantine, depuis les livres pour les tout-petits jusqu’aux romans pour ados, en passant par les documentaires, les bandes dessinées et les albums musicaux.
J’y reprendrai peu à peu la plupart des chroniques déjà publiées par ici, essentiellement sur des romans. Celles consacrées à mon chouchou Timothée de Fombelle y sont déjà largement reportées (comme par hasard). Et j’y ajouterai plein de nouveaux articles, surtout sur des albums pour petits.
Belle découverte à ceux que ce nouveau projet intéressera ! Et, au passage, merci pour votre fidélité de manière générale :)
Scénario : Georges Abolin Dessin : Olivier Pont Couleurs : Jean-Jacques Chagnaud
Éditions Dargaud, 2004
Tome 1 : ISBN 9782205050929 96 p.
Tome 2 : ISBN 9782205050981 98 p.
16,50 €
TOME 1
1906, Barellito. Une famille venue de Londres emménage au bord de la mer, dans un petit village d’Italie. Le père veut se consacrer à la pêche. Le fils, William, se réjouit déjà à l’idée de courir en pleine nature, loin de la grisaille londonienne. Et puis, il y a Lisa, la petite voisine aux cheveux noirs qui l’a si gentiment accueilli…
Mais les habitants de Barellito ne cachent pas leur hostilité aux nouveaux arrivants. Ils n’apprécient pas que des » étrangers » s’installent chez eux. Quant à Lisa, elle semble douée d’étranges pouvoirs…
TOME 2
Des années après leur séparation, devenus adultes, Lisa, William, Paolo et Nino se retrouvent enfin, à Istanbul où réside Lisa. Celle-ci leur apprend qu’elle vient de perdre l’enfant qu’elle attendait et que son compagnon, Thomas, l’a quittée précipitamment.
Pour William, Paolo et Nino, la surprise est totale et les souvenirs reviennent vite à la surface.
Lisa leur demande de l’accompagner au Costa Rica où se trouverait Thomas. C’est aussi là que la réponse à leurs étranges visions se trouve…
Le résumé et les premières pages du premier album laissent imaginer (voire craindre) une histoire très classique, déjà vue déjà lue. Un village perdu en pleine nature, dans le sud sauvage de l’Italie, au début du XXème siècle, une histoire d’amitié enfantine, le choc entre modernité et mode de vie ancestral, la méfiance haineuse vis-à-vis de l’étranger et de la nouveauté… Les ingrédients sont très familiers.
Pourtant on se laisse happer sans problème. Parce que Georges Abolin mène parfaitement son récit, à la fois conscient de sa banalité apparente, et des surprises qu’il va peu à peu y apporter. Parce qu’Olivier Pont s’empare à merveille du cadre naturel de l’histoire, prenant le temps, parfois sur une page complète, de ménager des pauses dans l’histoire pour laisser le temps au lecteur d’admirer cette Italie sauvage et merveilleuse. Et parce que Jean-Jacques Chagnaud, par son magnifique travail sur les couleurs, jette un éclat somptueux sur ces images. Ça vaut tous les catalogues d’office du tourisme ou d’agences de voyage – même si Barellito est imaginaire, il est probable que ces coins de côte existent vraiment quelque part.
Côté dessin, je reprocherais toutefois certaines approximations dans la représentation des personnages, notamment des enfants dont les corps aux postures parfois étranges et les visages à l’âge indéfinissable peinent à évoquer de vrais enfants. Surtout Paolo et Nino, moins soignés que Lisa et William. Cette remarque s’étend au deuxième tome, où certaines cases souffrent des mêmes défauts. Mais c’est loin d’être rédhibitoire.
Quant à l’histoire imaginée par Georges Abolin, c’est évidemment le point fort du diptyque. Le scénariste, on pouvait s’en douter, ne s’en tient pas à l’apparente pagnolade des premières pages. Peu à peu le mystère s’installe, liant les enfants, tous nés le même jour, à une histoire étrange qui va révéler sa force à la fois belle et tragique dans le deuxième tome. Dès le premier volume, des doubles pages inattendues introduisent une rupture, à la fois graphique (elles sont à dominante de brun, de rouge, d’orange et de jaune) et narrative, puisqu’elles semblent évoquer des histoires très anciennes, étrangères aux héros. Pour les explications, encore une fois, il faudra attendre la deuxième partie du récit, dans un balancement fort bien conçu.
Une pointe de fantastique, discrète mais prégnante, vient ensuite perturber le ronronnement trompeur du récit, qui ouvre la porte à une superbe réflexion sur le rapport que nous entretenons avec le temps, sur la nécessité de penser son existence comme une chance à brûler, mais aussi sur l’amitié et la passion, au-delà de toutes les limites concevables.
Puis le deuxième tome achève le basculement. Au revoir le charme bucolique de l’Italie, bienvenue dans l’aventure et l’exotisme. D’Istanbul à la jungle du Costa Rica, les trois auteurs s’en donnent à cœur joie – le dessinateur et le coloriste faisant plus que jamais étalage de leur art à croquer et sublimer des décors foisonnants, tandis que le scénariste entraîne le lecteur dans un périple pour le moins surprenant.
Seize ans après sa parution, le diptyque d’Abolin, Pont et Chagnaud reste une référence de la bande dessinée, signe qu’une bonne histoire, habitée par ses metteurs en scène, peut devenir intemporelle dès lors qu’elle est sincère et imaginative. Un classique pas si classique, à lire avec plaisir.