Archives de 9 novembre 2011

Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan

A force d’entendre parler de ce livre, j’ai sauté le pas. Il le fallait. Au moins pour vous, chers Cannibales Lecteurs. Je n’avais jamais lu Delphine de Vigan, j’arrivais donc en terrain vierge de toute idée préconçue. Au début, j’étais tout de même assez sceptique. Encore un écrivain qui raconte l’histoire de sa mère. Décidément, les mères, c’est tout un poème. Ou un roman de 400 pages dans ce cas précis. Delphine de Vigan nous raconte l’histoire de sa mère, récemment décédée. En accord avec les membres de sa famille (soeur, oncles, tantes), elle va se plonger dans la vie maternelle pour apprendre à connaître vraiment cette mère mystérieuse, souvent prise de crises de démence et internée à de plusieurs reprises, avant de l’amener à un suicide.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pleuré en fermant un livre, que je n’avais pas envoyé tout valser pour plonger au plus vite dans ma lecture, que je vivais, respirais, pensais comme l’auteur.

Rien ne s’oppose à la nuit est un livre magnifique. On pourrait se croire dans un polar. Une fratrie nombreuse, un enfant mort, des suicides, des non-dits, des rebondissements inattendus, des secrets qui hantent et finissent par ressurgir des années après… Qui a fait quoi à Lucile, la mère de Delphine de Vigan pour qu’elle devienne ainsi? Ainsi donc, ma propre famille serait normale? Rien que pour ça, ça rassure l’égo du lecteur et on devient comme des voyeurs, avec une volonté avide d’en savoir toujours plus. Car forcément, même de manière inconsciente, on fait la comparaison. 

Et puis il y a le style. Delphine de Vigan a une plume d’une fluidité déroutante. Son écriture est empreinte de pudeur, comme si elle avançait sur des oeufs. Parfois, la boîte d’oeufs cède, car l’auteur n’oublie pas de poser les questions qui fâchent et parle sans détour des zones d’ombres intra-familiales. Elle avance, parfois à tâtons, pour ne pas blesser, pour ne pas gêner les membres encore vivants de cette fratrie dans laquelle sa mère n’a pas su trouver sa place. Delphine de Vigan se mêle de façon intelligente à ce récit, retraçant sa propre autobiographie dans cette histoire romancée de sa mère. 

On s’attache à Delphine, on la regarde se débattre avec la maladie de sa mère, avec sa propre maladie aussi (Delphine de Vigan a souffert d’anorexie, période de sa vie plus ou moins racontée dans Jours sans faim), on assiste impuissant à leurs multiples déménagements, on se demande ce que deviennent tous ces oncles et tantes, on a envie de les rencontrer, de comprendre pourquoi cette famille au début parfaite en est arrivée là, on cherche à comprendre, à savoir. 

Et la fin du roman est là, noire mais écrit de manière lumineuse. Oui, la mère de Delphine s’est suicidée. C’est l’auteur qui découvre le corps. Et pendant que Delphine hurle et pleure son désespoir au téléphone dans la cuisine, on lui pose la main sur l’épaule ou on est penché sur le corps sans vie de Lucile et on pleure nous aussi, notre mère perdue ou à perdre un jour. Hélas. 

Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan
éditions Jean-Claude Lattès
9782709635790
19€ 400 pages.

Un article de Clarice Darling.

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