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Les auteurs.
Poids lourds du polar > Dennis Lehane
Signé Bookfalo Kill
Auteur de chefs d’œuvre époustouflants (Mystic River, Shutter Island ou Un pays à l’aube), Dennis Lehane s’est également livré à un exercice plus codifié, entre roman de détective à l’américaine et roman noir, avec la série consacrée au duo Kenzie-Gennaro. Après cinq romans (1), le romancier avait décidé de mettre ses privés au repos, le dernier opus datant de 1998. Mais le 11 septembre, et surtout la crise économique mondiale sont passés par là. Alors Lehane, dans Moonlight Mile, a réactivé ceux dont il s’est toujours servi comme témoins de la violence à l’œuvre au cœur et en marge de la société américaine.
Pourtant bien des choses ont changé dans la vie de Patrick Kenzie et Angela Gennaro : ils ont cessé d’être détectives privés, se sont mariés et ont une petite fille de quatre ans. Patrick travaille pour une compagnie de surveillance qui tarde à l’engager pour de bon, sous prétexte qu’il n’est pas assez lisse pour ses clients, et Angela a repris des études de sociologie. Et, comme beaucoup d’Américains moyens, ils tirent le diable par la queue.
Bref, ils ont déjà assez d’ennuis comme cela, et ils se passeraient bien de ceux amenés par la réapparition dans leur vie de Beatrice McCready, tante d’Amanda, la fillette dont le kidnapping était au cœur du quatrième roman de la série, Gone Baby, Gone. Amanda a désormais seize ans… et elle a de nouveau disparu. Persuadée que la jeune fille est en danger, Beatrice convainc Patrick de reprendre l’enquête, même si celui-ci ne cède que lorsque de mystérieux hommes de main ont la mauvaise idée de lui casser la figure et de menacer sa famille, histoire de le convaincre de ne pas s’occuper de cette histoire…
Reprendre des personnages récurrents écartés depuis longtemps est parfois un aveu d’impuissance, de manque d’inspiration. Mais pas chez Lehane. D’abord parce qu’il n’a plus rien à prouver. Ensuite, parce que sa démarche est ici particulièrement intéressante. Dès le début du roman, au fil d’un scène de filature très amusante, on retrouve le ton propre à la série Kenzie-Gennaro, plein d’une ironie réjouissante. Pourtant, le désenchantement n’est pas loin non plus. Les héros sont fatigués… S’ils sont toujours capables de s’enflammer quand l’injustice pointe le bout de son nez, ils ont beaucoup perdu de leur insouciance avec leur jeunesse. Du coup, l’humour se fait plus rare que dans les précédents romans.
Dennis Lehane ne cède pas pour autant à la nostalgie ou à la mélancolie. À travers l’évolution complexe de ses personnages, il scrute sans concession une Amérique en plein effritement social, où s’épanouissent trafics et magouilles en tous genres, à toutes les échelles. Pas étonnant qu’une bande de mafieux russes psychopathes servent de centre de gravitation à cette sixième enquête… En confrontant ses héros vieillis (mais pas forcément assagis) à une société où le plus grand nombre lutte pour survivre, le romancier souligne à quel point les choses ne se sont guère améliorées depuis les années 90 aux Etats-Unis.
Au-delà du regard acéré de l’auteur, du contenu critique du roman, il faut bien sûr considérer la mécanique policière du récit. Comme toujours chez Lehane, elle est impeccable. Le garçon est un maître conteur et ne faiblit pas une seconde dans la conduite de l’intrigue, même si celle-ci, finalement, s’avère assez classique. De ce point de vue, Moonlight Mile est loin d’être le meilleur roman de la série. Sûrement parce que Lehane lui-même a changé, mûri, et que son ambition littéraire est un peu à l’étroit dans un tel moule.
Reste le plaisir, véridique, de retrouver Kenzie et Gennaro, et le talent d’écrivain d’un des meilleurs auteurs américains de romans (noirs) contemporains. Là encore, il n’y a aucune raison de passer à côté !
Moonlight Mile, de Dennis Lehane
Éditions Rivages-Thriller
ISBN 978-2-7436-2227-5
384 p., 20€
(1) : dans l’ordre : Un dernier verre avant la guerre ; Ténèbres, prenez-moi la main ; Sacré ; Gone Baby, Gone ; Prières pour la pluie.
Retrouvez Moonlight Mile sur le site des éditions Payot & Rivages.Poids lourds du polar > Fred Vargas
Signé Bookfalo Kill
Même si l’une des vocations premières de ce blog est de parler de sujets ou de livres dont on ne parle pas (ou du moins pas assez) à notre goût ailleurs, il n’est pas question pour autant de snober les auteurs importants. Surtout quand on les aime beaucoup et que leur nouveauté mérite qu’on en dise un mot.
Hasard du calendrier, deux de mes auteurs favoris, stars des best-sellers, viennent donc de publier un nouveau roman. Commençons par la Française, l’incontournable Fred Vargas, qui revient après trois ans de silence polardesque. L’Armée furieuse met à nouveau en scène son héros emblématique, Jean-Baptiste Adamsberg, et son équipe de flics hors normes (Danglard le rationaliste encyclopédique et alcoolique, l’inarrêtable Violette Retancourt, le rimeur Veyrenc…) Cette fois, le « pelleteur de nuages » prend le large en Normandie, sur la piste de la Mesnie Hellequin, une troupe de démons tout droit sortie du folklore médiéval, qui apparaît épisodiquement pour « saisir » quelques vivants, réputés être auteurs de crimes pour lesquels ils n’ont jamais été punis ; saisie qui s’apparente à un présage de mort, puisque quelques jours après le passage de la cavalerie fantomatique, les élus trouvent la mort…
Le risque avec Vargas, c’est de finir par être blasé, et donc de ne plus apprécier le cocktail à sa juste mesure. C’est vrai, on connaît la recette : un mélange singulier entre des histoires improbables, des situations décalées, des dialogues virtuoses, un humour unique et des personnages hors normes. Certes, Vargas fait à nouveau l’impasse sur certains éléments récurrents de ses premiers romans avec Adamsberg, comme l’histoire avec Camille ; et il semble que son héros stagne quelque peu – même si le développement de sa relation avec son fils aîné, découvert dans Un lieu incertain, est assez réussi.
Mais que voulez-vous, quoi qu’il en soit, cela fonctionne ! Et puis, pourquoi attendre plus que ce que l’auteur souhaite donner, c’est-à-dire un moment de lecture détente, une forme d’anxiolytique littéraire relevé d’une pincée d’érudition plaisir ? Bref, si vous aimez Vargas, ne boudez pas votre plaisir et foncez !
A noter : une interview de Fred Vargas dans le dernier numéro du magazine Lire (spécial polar, juin 2011), d’autant plus intéressante que l’auteur est généralement avare de confidences. Ici, elle se livre avec un franc-parler louable, expliquant notamment sa manière d’écrire, son rapport au succès… Passionnant !
L’Armée furieuse, de Fred Vargas
Editions Viviane Hamy, 2011
ISBN 978-2-87858-376-2
430 p., 19,50€
Retrouvez L’Armée furieuse sur le site des éditions Viviane Hamy.