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Archives du vent, de Pierre Cendors

Signé Bookfalo Kill

Pour commencer cette chronique qui, j’aime autant l’annoncer d’entrée, ne va pas être simple à écrire, je vais évoquer un phénomène que nous avons sans doute tous vécu. Souvenez-vous donc de ce moment, au matin ou en pleine nuit, où vous vous êtes réveillé avec, en tête, les images incroyablement nettes et précises d’un rêve ; aussi loufoque et aberrant que fût ce rêve – comme ils le sont souvent lorsqu’on s’en rappelle -, durant ces quelques secondes où vous franchissez le cap entre le sommeil et la conscience, tout vous paraît évident, crédible, d’une vivacité enthousiasmante.
Vous avez peut-être essayé, parfois, de noter aussitôt ces images, d’essayer d’en conserver par écrit la réalité hors normes. En vain, très probablement, car ce qui appartient à la nuit se dérobe au jour.
Sauf pour Pierre Cendors.

Cendors - Archives du ventArchives du vent, le nouveau roman de cet auteur discret, également poète, raconte avec précision une histoire aussi insaisissable qu’un rêve. Une histoire, ou plutôt des histoires ; qui s’enchaînent et s’imbriquent les unes dans les autres avec évidence, de la même manière que, dans nos rêves, on peut passer en quelques secondes d’un monde à un autre, d’une personne à une autre, sans que notre esprit logique ait quoi que ce soit à y redire.
Au cœur du récit, il y a Egon Storm, cinéaste de génie, auteur de trois films seulement, mais qui ont révolutionné l’art cinématographique. En effet, Storm les a réalisés grâce à une technologie de son invention, le Movicône, permettant de capter les images d’acteurs ou des personnalités disparus, puis de leur créer entièrement de nouveaux rôles. Se côtoient ainsi sur l’écran Marlon Brando, Adolf Hitler et Louise Brooks, Gérard Philipe et Herman Hesse, Robert Mitchum et Montgomery Clift. Après ces trois films, Storm a disparu, laissant un public fasciné, sidéré – mais aussi un double mystère : un éventuel quatrième film, et une obsession pour un certain Erland Solness…

Voici pour un résumé d’Archives du vent – qui n’en est pas vraiment un, car il dit peu de ce que ce roman est vraiment. Disons que cette ébauche de scénario est l’asphalte sur lequel tourbillonnent les feuilles de multiples intrigues tombées d’un arbre aux ramifications infinies. Entrer dans Archives du vent, c’est accepter de se perdre (un peu), de se laisser guider comme lors d’une séance d’hypnose. C’est apprécier, surtout, la beauté fulgurante d’une écriture inspirée, poétique, qui conduit peu à peu à de merveilleuses réflexions sur la création, la solitude, la fraternité, l’héritage familial, l’amour aussi, bien sûr… C’est admirer, enfin, la manière dont Pierre Cendors crée des connexions invisibles au fil du roman, évoquant ces échos aux airs de déjà-vu qui sont au cœur de nos vies.

Aventure de lecture assez rare, déstabilisante, Archives du vent est surtout l’occasion de découvrir un véritable univers littéraire et une vraie belle plume française d’aujourd’hui. On se plaint assez (souvent à raison) des stéréotypes et de la pauvreté stylistique d’une grande partie de nos écrivains contemporains pour ne pas tenter une escapade aussi différente que celle proposée par Pierre Cendors.

Archives du vent, de Pierre Cendors
Éditions le Tripode, 2015
ISBN 978-2-37055-066-8
317 p., 19€